On nous a coupé les ailes
René, mon arrière grand-père. Je ne l'ai jamais connu, il est mort en 1960. René, je connais ses bijoux car il était joaillier, place Vendôme. René, j'en connais des portraits, des souvenirs racontés par ma grand-mère, ma mère et ma tante. Ce que j'ai toujours connu de René, ce sont deux petits avions qui étaient dans une vitrine chez mes grands-parents. Deux petits avions fabriqués dans les tranchées en 1915 et 1916 à partir de douilles de balles et de débris d'obus. Des petits avions avec l'hélice et les roues qui tournent. Deux petites merveilles confectionnées en plein enfer. Un jour, ma grand-mère me les a transmis. Je savais qu'elle me confiait quelque chose de précieux, des bijoux de famille, du souvenir, de la mémoire, de l'Histoire. Quelques années plus tard, j'ai rencontré le Brun, un Brun qui écrit des histoires. Je me souviens de sa réaction fascinée quand je lui ai fait découvrir ces deux petits avions... Presque un siècle plus tard, le Brun s'est inspiré de ces deux trésors pour écrire une histoire: des souvenirs d'enfance insouciante et une jeunesse transportée de force dans l'horreur de la Grande Guerre. Le talentueux Émile Bravo s'est impeccablement chargé des illustrations de cet album, où René, le soldat écrit à sa mère et regarde dans le ciel ces avions qu'il recréé dans les tranchées où il s'enfonce. La création comme survie. Je suis très émue que ce livre existe et que ces petits avions continuent leurs vols à travers les siècles. Mon arrière grand-père n'a jamais pris l'avion.
On nous a coupé les ailes de Fred Bernard et Émile Bravo, éditions Albin Michel Jeunesse.